À y regarder de près, très peu d’institutions, d’associations, de services publics, d’entreprises fonctionnent sans projet. Formalisé ou pas , il rythme la vie des équipes de professionnels ou de bénévoles. La formalisation du projet est cependant un acte essentiel pour mobiliser les personnes qui vont le vivre, le faire vivre, l’animer.
- Cela permet, autour de la construction dans un document, de réfléchir à l’objet et aux publics visés, aux objectifs, à la démarche et aux moyens d’y parvenir.
- Le document fonde , au-delà des aspects légaux, le contrat d’action entre tous ceux qui vont le mettre en œuvre.
La construction et la conduite de projet ne sont pas innées, car les approches sont diverses et il nous faut bien confronter notre propre vision à d’autres approches. Le mot « projet » est d’ailleurs beaucoup utilisé en pédagogie, souvent avec des significations plus ou moins variables. Pour certains enseignants, travailler à partir d’un centre d’intérêt des élèves est un projet. Pour Philippe Meyrieu, la mise en projet est une approche pédagogique qui donne une finalité, un but aux apprentissages rencontrés, mais touche aussi de manière plus vaste aux projets personnels que peuvent construire les élèves. Passer du collectif à l’individuel pour retourner au collectif !
C’est dans – ou en confrontation à – ce collectif que le projet prend tout son sens.
Le projet, pour certains, c’est le cadre qui permet de remplir ses engagements vis à vis de soi-même et/ou vis à vis des autres . Construire un projet est quelque chose de complexe parce que nous sommes tous différents . Nous avons tous une histoire , des sensibilités, des parcours qui sont autant de richesses, et nous devons faire avec toutes ces composantes, dès que l’essentiel nous réunit. La négation de cette richesse, de cette diversité dans la construction du projet est le point de départ d’un échec certain.
Il m’aura fallu quelques années d’expériences personnelles et professionnelles et, bien sûr, de formation et de rencontres pour formaliser une démarche de construction de projet.
En voici les principales étapes :
Étape 1 : Analyser l’environnement.
Un projet s’inscrit dans un contexte. Selon la nature du projet, celui-ci est urbain et/ou démographique et/ou politique et/ou culturel. Bref, on dresse tout d’abord l’état des lieux de l’environnement dans lequel on va agir. Mais on ne s’arrête pas aux constats ; on se lance dans une analyse de ce contexte, une analyse contradictoire de la réalité.
Parce que l’objectivité n’existe pas, c’est à ce moment-là que tout commence à se complexifier . Notre vision des choses est forcément marquée par notre histoire, nos partis pris. Faute d’objectivité, il nous faut alors faire appel à notre honnêteté. C’est difficile. Qui n’est pas tenté de voir la réalité comme il aimerait qu’elle fût ! L’honnêteté relève d’un travail et d’une attitude exigeants !
Étape 2 : Définir des valeurs communes.
Ceux qui vont construire le projet s’accordent sur un certain nombre de valeurs. Ces valeurs sont autant de repaires qui nous guident et induisent notre façon d’élaborer toutes les phases du projet. Les valeurs républicaines ( « liberté , égalité, fraternité ») constituent, en France, le socle commun minimum, pour peu que leur signification soit la même pour tous. En termes d’éducation, on se posera également la question d’un certain nombre de fondamentaux : solidarité , responsabilité, goût de l’effort, créativité…
Étape 3 : Définir des objectifs
L’étape suivante consiste alors à se fixer des objectifs à long, moyen et court termes .
Ces objectifs doivent d’être atteignables, mais ne doivent pas, sous prétexte de réalisme, nous empêcher d’imaginer, d’inventer, d’innover.
L’utopie doit être le moteur de nos audaces. Ma pratique quotidienne m’amène à constater que, chez bon nombre de professionnels du développement social local, une véritable auto-censure s’est instaurée, provoquée par un contexte économique difficile. Il faut cependant pouvoir libérer les énergies, les idées ! J’invite systématiquement, lors des séances de travail, mes interlocuteurs à ne pas se brider , à laisser aller leur imagination, à faire preuve d’audace. C’est une posture qui doit permettre, dans un second temps, d’imaginer la mise en œuvre du projet en utilisant au mieux les moyens dont on dispose.
Étape 4 : Choisir la démarche
Une fois nos objectifs posés , il convient de définir une méthode de travail, une démarche à adopter ou à inventer. La démarche est, sans conteste, le moment où nous allons montrer nos capacités individuelles et collectives à mettre en œuvre le projet . Elle se définit également en fonction des objectifs, afin de permettre de répondre à au moins trois questions :
- Faut-il choisir la logique du leader ou celle du travail collectif ?
- Faut-il choisir la logique de l’homme providentiel ou faire appel à l’intelligence collective ?
- Faut-il partir des besoins et des capacités de chacun pour progresser,avec toujours la même interrogation : « Y aura-t-il des laissés-pour-compte ? »
La démarche concerne autant la façon dont va s’organiser l’équipe autour du projet que celle dont elle va s’adresser au public visé.
Étape 5 : Faire un état des savoirs et savoir-faire, afin de les utiliser en cohérence avec les objectifs et la démarche.
La démarche invite à faire un état de ces savoirs et savoir-faire pour mener à bien le projet et envisager comment les utiliser, les acquérir, les partager et fixer les règles de gouvernance du projet. Encore une fois, il convient de se poser un certain nombre de questions :
– Les savoirs nécessaires sont-ils présents au sein du groupe constitué ? Si oui, sont-ils maîtrisés par tous ?
– La détention de ces savoirs par certains leur donne-t-elle une légitimité, un pouvoir , des droits, des devoirs ?
– Ceux qui maîtrisent les savoirs sont-ils nécessairement ceux qui auront une voix prépondérante par rapport à ceux qui maîtriseront les savoir-faire?
– Ces savoirs et savoir-faire vont-ils se diffuser ? Si non, pourquoi et sur quels principes ? Si oui, dans quel état d’esprit ?
C’est cette démarche, dans le cadre d’une méthodologie rigoureuse, que je mets en œuvre dans mes différentes missions. J’attire l’attention sur la nécessité de mettre en place une évaluation permanente car un projet n’est pas figé, il est vivant. Ce n’est pas un catalogue d’actions mais le moyen d’afficher et d’imaginer comment atteindre ses objectifs. Parce que toute chose est humaine et que l’erreur est inévitable, voire indispensable pour progresser, il est fort probable que le projet ne se déroule pas comme il a été initialement pensé. Il va être ponctué d’évaluations pour pointer les manques, les échecs, les réajustements indispensables. Réajustements utiles et nécessaires mais qui ne remettent pas en cause fondamentalement les objectifs et la démarche collectivement adoptés.
Pour conclure, je dirai que la mise en œuvre d’un projet doit s’inscrire dans le juste équilibre entre la réponse aux besoins individuels et l’intérêt collectif. Pour cela, le respect de valeurs humaines fondamentales et l’intérêt général restent les clés de voûte de l’édifice . C’est difficile, c’est exigeant mais, pour ma part, je n’ai pas trouvé d’autre chemin.
Le projet est indispensable, son élaboration est le temps privilégié d’une réflexion collective,sa finalisation est le fil conducteur de nos engagements !
Jacques HOUDREMONT