La participation des habitants : les défis du triptyque

La20150324_183131 (3) participation des habitants est au cœur des nouveaux contrats de ville. Elle s’illustre notamment par la mise en place des conseils citoyens. Certains territoires les ont déjà mis en place, d’autres s’interrogent sur le rôle à leur donner.

Depuis le début du mois de janvier, la ville de Lyon a engagé un travail de mobilisation des habitants et des acteurs locaux1. Ce travail doit notamment fixer le cadre des conseils citoyens, leur mode de fonctionnement et de gouvernance. Plus globalement, il doit permettre de définir la place des habitants et leur rôle dans le futur contrat de ville.

Cette mission nous a été confiée. Avec la Coodev’, nous avons proposé une démarche de proximité construite en deux phases:

  • Un temps d’échanges avec les acteurs locaux et les habitants déjà investis dans les structures de concertation. Ce premier temps avait pour objectif de faire émerger les enjeux essentiels pour les quartiers.
  • Un temps d’organisation de rencontres avec les habitants non investis, en petits groupes, dans le cadre de rencontres en appartement ou dans des lieux qui les mettent suffisamment à l’aise pour échanger. Lors de ces rencontres, nous avons invité les participants à s’exprimer positivement sur leur quartier, notamment à travers des moments pleinement vécus et au cours desquels ils avaient ressenti des émotions positives.

Ces deux temps ont été suivis de rassemblements, qui ont permis à l’ensemble des personnes rencontrées de faire émerger des problématiques communes, que nous avons appelées défis , et pour lesquels elles sont prêtes à s’engager.

De cette mission, nous avons tiré trois enseignements que j’ai pu exposer lors d’un séminaire des acteurs du contrat de ville. :

  • La participation dans l’action
  • L’action autour de défis rassembleurs et co-construits
  • Des défis qui nécessitent une nouvelle posture du triptyque : habitants, élus et acteurs locaux.

La participation dans l’action :

La concertation avec les habitants des quartiers de la politique de la ville n’est pas une nouveauté. Les équipes territoriales en charge de l’animation des contrats de ville y sont accoutumées. Cependant, les constats sont souvent les mêmes :

  • On retrouve bien souvent le même noyau d’habitants.
  • La concertation se transforme rarement en action concrète.
  • Elle donne peu de place à tous ceux qui n’osent pas prendre la parole et laisse de côté ceux qui, de toute façon, ne croient pas (ou plus ) à la parole publique.

Cette situation transforme le dialogue entre habitants et institution en lieu de dépôt de plaintes et de revendications. Elle laisse des habitants plus que réservés sur la crédibilité et l’efficacité de ces démarches. Ils mettent en doute la sincérité de ceux qui les engagent.
Dans de nombreux quartiers, de plus en plus de groupes constitués ou informels se prennent en main. Il est d’ailleurs à noter le rôle important que jouent les femmes, à l’exemple tout récent de ces mamans de Saint-Ouen qui se mobilisent contre la violence dans les quartiers, ou encore ces groupes de femmes que les acteurs sociaux connaissent bien et qui s’organisent pour créer du lien notamment autour des tables d’hôtes. Les jeunes ne sont pas non plus en reste et ils prennent leur place, notamment dans l’organisation de loisirs et d’événements culturels. La capacité d’action et de mobilisation est réelle et ne demande qu’à s’exprimer. Certains habitants n’attendent pas ou n’attendent plus les acteurs locaux et/ou publics pour s’engager. Ils se retrouvent autour d’actions pour agir concrètement sur leur quotidien. Cela doit interpeller les pouvoirs publics non pour s’en défier mais pour s’appuyer sur cette volonté et s’engager dans cette dynamique collective.

Des défis co-constuits et rassembleurs.

Si je me réfère à ma toute récente expérience lyonnaise, ou encore à celle plus ancienne mais combien exemplaire de la construction du plan de développement des usages du numérique à Grigny (69) et qui donna naissance au projet de la m@ison, l’idée de la co-construction d’actions entre différents protagonistes est non seulement possible mais porteuse d’une audace que seule l’action collective peut soulever.

Se donner un défi commun, c’est reconnaître le fait que chacun peut apporter sa pierre à un édifice. Cette démarche :

  • met en avant les atouts, motivations compétences individuelles au service d’une œuvre collective,
  • est valorisante pour l’individu qui se sent reconnu,
  • est utile pour le collectif qui, plus fort et plus soudé, peut affronter les défis les plus audacieux.

Elle permet la reconnaissance de l’intelligence collective, le respect des prérogatives et responsabilités des différentes composantes du triptyque. Les collectivités qui se sont engagées dans les démarches participatives et, notamment, dans celles qui ont développé les budgets participatifs le reconnaissent ; les habitants font preuve d’audace et d’imagination tout en comprenant et donc en prenant en compte des cadres budgétaires et des réalités financières gérés par les élus. Parce qu’ils ont été impliqués, entendus et donc considérés, ils en respectent plus la responsabilité des élus dans leurs prérogatives d’arbitrage.

De nouvelles postures:

Il convient qu’habitants, acteurs locaux et élus changent de posture.

Les habitants

Il faut accompagner les habitants pour sortir de la doléance et être dans une recherche de solution aux problématiques qu’ils peuvent rencontrer. Sans nier les difficultés et refuser de les entendre, à Lyon, nous nous sommes appuyés sur leurs réussites, sur ce qu’ils avaient pu faire pour leur quartier et qui les avait rendus fiers et heureux. Notre démarche : partir des vécus positifs pour trouver des réponses collectives aux problèmes, sans dédouaner les uns et les autres de leurs propres responsabilités. Cette démarche nous a permis, même dans les quartiers où le manque de considération des habitants était flagrant, de faire émerger des potentialités d’action.

Les acteurs locaux :

Les habitants des quartiers populaire réclament de la considération. Considération dans le sens où ils ne demandent pas que leurs propos soient pris en compte impérativement mais que l’on évite de penser à leur place et sans eux la façon de régler leurs difficultés. Ce sont eux qui vivent,  font le quartier et entendent qu’on le prenne en compte. Cela modifie considérablement les processus d’élaboration et de mise en œuvre des projets sociaux et urbains. L’habitant n’est pas un invité, ni un objet de diagnostic, mais un des acteurs majeurs du processus de rénovation. L’enjeu pour les acteurs locaux est donc :

  • de mettre au service de la réflexion et de la construction collective leurs expertises
  • que ces expertises ne soient ni un argument de non recevoir, ni une façon d’imposer telle ou telle solution,
  • d’expliquer les contraintes, les prérogatives, de les faire partager afin qu’elles soient prises en compte dans la réflexion,
  • de considérer les habitants comme les acteurs essentiels des transformations, dans leur phase de conception et d’action et de partir de ce qui se dit et se propose pour agir.
  • de recevoir leurs critiques non comme une remise en cause mais comme un possibilité d’améliorer leur mission.

Les élus :

Dans ce cadre, les élus apparaissent comme les initiateurs et comme les garants de la démarche. Cela leur permet de poser le cadre : celui du mandat pour lequel ils ont été élus et du respect des valeurs de la république. Le cadre du mandat électif, la législation ne sont plus présentés comme un carcan mais comme des atouts qui permettent à l’élu d’engager et de soutenir la dynamique, d’engager les pratiques participatives. Il se doit :

  •  d’expliquer que la prise en compte du cadre ne doit pas être prise comme une contrainte, mais comme la volonté d’inscrire les actions, émergeant des travaux collectifs, dans la voix de la réussite, par l’écoute et le respect de tous, la garantie de l’expression de chacun,
  •  de montrer que ces principes s’appliquent avant tout à lui et invitent, par l’exemple, à s’inscrire dans une attitude d’ouverture sans rien cacher de ses partis pris.

Cette posture doit permettre à l’élu de se remémorer en permanence ce que Robespierre disait de la démocratie : « La démocratie est un état où le peuple souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu’il peut bien faire, et par des délégués tout ce qu’il ne peut faire lui-même! ». C’est le terrain, en référence au mandat qui lui a été confié, qui inspire son action.

Pour les composantes de ce triptyque, l’humilité reste sans doute la valeur qui doit guider le savoir-être.

Il n’y a ni angélisme ni naïveté dans mon propos. Les tensions réelles de notre société, le climat généralisé de défiance envers le monde politique et, plus globalement, les institutions, le repli communautaire rendent la démarche complexe. Mettre en œuvre les démarches participatives n’est pas un long fleuve tranquille. Cela demande du temps, de la persévérance, une capacité d’écoute et de retour aux principes d’éducation populaire, une capacité d’imagination et d’affirmation que rien n’est impossible. Ce qui nécessite :

  • de remettre de la confiance dans les rapports à priori et non à posteriori,
  • de remettre au cœur des réflexions l’intérêt général à l’heure où l’individualisme est devenu une valeur refuge,
  • de considérer qu’il n’y a pas d’absolu, que l’expérience de chacun est une richesse,
  • d’affirmer les divergences afin de faire émerger les convergences car ce sont ces convergences qui sont et seront le ciment du travail participatif et de la coproduction d’actions. À ce propos, je n’oublierai jamais une des rencontres fondatrices du projet de la m@ison de Grigny en 2002, celle de qui permis à René Trégouhet et René Balme, tous deux appartenant à des formations politiques que tout séparait, de considérer que  développer des actions de sensibilisation et de formation était un enjeu majeur et d’œuvrer de concert.

La participation des habitants n’est pas une problématique, ce n’est pas une difficulté, c’est difficile ! C’est une chance pour chacun d’entre nous, pour les quartiers et, plus globalement, pour la rénovation du dialogue public. À l’heure où le numérique transforme la société par l’émergence des pratiques collaboratives et contributives, la participation est devenue une voix incontournable et impérieuse !

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1On entend par acteurs locaux les associations, institutions, services publics, acteurs économiques agissant sur un quartier : centres sociaux, bailleurs, écoles, chambres consulaire, pôle emploi, …

Jacques HOUDREMONT